par Hélène Marian
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Issue N.28
Oct. 2025
Author: Hélène Marian
Typeface: PVC/Lettering
Printed in the margins of:
Cultura, Wetteren [BE]
± 400 copies
Dans ce spécimen, Hélène Marian met dos à dos ses pratiques de dessin typographique et de peinture en lettres. Au recto une improvisation bruitiste composée en PVC, une famille hors-norme composée uniquement de moutons noirs. Au verso, la réduction de grandes bannières peintes aux noms des labels de musiques exposants à l’occasion de « 12h24–24h12 » ; salon des musiques inclassées aux Instants Chavirés en 2023.
Son article démêle les liens entre ses deux approches qui tentent de ne pas se caricaturer l’une l’autre, mais de dialoguer en se nourrissant sans mentir sur leurs natures et les possibilités qu’elles offrent.
Solo bruitiste de 90 cm composé en PVC Banner, Dynasty, Express et Menu.
Entre 2018 et 2023, sortent les différents membres de la famille typographique protéiforme PVC. Loin d’être une famille « type », le PVC n’est composé que de moutons noirs : chaque nouveau membre incarne à sa manière une idée du passage du tracé manuel à un système digitalisé, se délestant d’une part plus ou moins grande de gestualité au profit d’un potentiel d’usage étendu.
Avant d’être une famille typographique, le PVC naît de ma pratique quotidienne du lettrage manuel, comme un·e musicien·ne ferait ses gammes, je trace des centaines de lettres au fil des ans pour composer les pochettes des sorties intempestives du label de musique expérimentale No Lagos, ainsi que pour des lieux et revues consacré·es à ces mêmes musiques. Ces lettrages accumulés deviennent autant de possibilités typographiques. 10 « a » presque semblables mais tous différents, portent-ils en eux la clé d’un « a » unique, typographique ?
Ces lettres impolies, texturées, parfois compactées ou étirées à l’extrême pour remplir les surfaces étriquées de ces cassettes, embrassant les erreurs et malfaçons comme autant de trouvailles, sont un écho aux musiques qu’elles portent, musiques aux « écritures » non fixées, qui — au choix ou tout en même temps — fuient les assignations de genres et s’affranchissent des règles de composition, des injonctions traditionnelles de mélodie, de rythme, de technicité et de virtuosité.
Le nom est une allusion au matériau des lettres adhésives découpées par des machines, dont l’arrivée dans les années 1970 a massivement éclipsé, au moins pour un temps*, le métier de peintre en lettres en France. La typographie PVC, dont le point de départ est pourtant la lettre peinte, pourra à son tour, en tant que typographie numérique faite de vecteurs, être tirées en lettres adhésives par toutes et tous, et pour écrire tout nom d’enseigne : ironie de l’histoire que cette boucle infernale, renaissance donc, autant qu’assassinat en règle.
Ce répertoire de propositions, rendues possibles par des contenus textuels uniques pour des surfaces limitées et palpables, pose des questions particulières et cherche plus tard des réponses dans une transcription de système déployable et combinable à l’infini, imaginé dans l’espace profondément abstrait qu’est l’écran. Une seconde vie après réincarnation.
Cette inspiration, découlant de formes produites dans des contextes spécifiques, dans des formats spécifiques, sur des matières spécifiques et avec des contenus textuels, spécifiques, crée des possibilités, mais également un paradoxe : inscrire à la main, c’est se confronter et travailler dans un espace tangible et limité. C’est aussi la possibilité de travailler l’unique et le sur-mesure, l’impact d’une lettre à la morphologie spécifique sur celle qui la suit. Là où le dessin typographique cherche, lui, à performer dans une logique de système, fait de choix normatifs et de synthèses.
Le PVC n’est pas une ode aux enseignes d’un passé idéalisé, mais une proposition de lecture actuelle et digitale de signes obtenus avec une technique vieille comme l’Empire romain, au moins. Un va-et-vient entre deux pratiques, deux temporalités, deux approches aux enjeux distincts qui tentent de ne pas se caricaturer l’une l’autre, mais de dialoguer en se nourrissant sans mentir sur leur nature et les possibilités qu’elles offrent : l’immédiat pour l’une, le rationnel pour l’autre, le jeté et la reprise, l’esquissé et le sculptural. La puissance et les contraintes d’une logique de système en typographie. La maladresse charmante et vivifiante dans son contexte, parfois au-delà parfois pas, du lettrage manuel.
Lire “The Essence of the PVC Font Family Unveiled”, publié dans Production Type Magazine.
Design : Hélène Marian. Équipe Production Type : Hugues Gentile, Jean-Baptiste Levée, Léa Bruneau, Arthur Schwarz.
Échelle 1:50
Bannières peintes au nom des labels de musiques exposants à l’occasion de « 12h24–24h12 » ; salon des musiques inclassées organisé par Zone de Silence aux Instants Chavirés à Montreuil le 9 décembre 2023.
La découverte des musiques bruitistes/expérimentales/improvisées a été pour moi une invitation au glissement, à une approche plus directe, à un questionnement sur le cadre de mon métier et ses instruments.
L’autonomie acquise par la possibilité, à force de pratique, de pouvoir improviser des lettres sans esquisse préalable, à petite ou grande échelle, en tout lieu et avec pour seul équipement un pinceau et un pot de peinture, m’a permis à la fois de remettre en question les processus de commande graphique auxquels je m’étais habituée, mais aussi la notion même de commande. De passer de spectatrice d’une scène à actrice, d’apprendre des pratiques des autres et d’y participer. Travailler de plus en plus avec des collaborateur·ices et de moins en moins pour des commanditaires, dans des cadres moins institutionnels/moins hiérarchisés/moins monétarisés et dans lesquels la finalité est de construire un objet, un moment, de contribuer à une œuvre au moyen de signes, d’indiquer un chemin et d’ajouter du sens par la forme mais aussi, donc, par la manière. Sabrer l’habituelle soumission d’esquisses à distance pour penser plus spontanément ensemble. Pour moi, sortir de la solitude de l’atelier et partager les possibilités de la lettre tracée.
Je me suis mise à multiplier des interventions in situ, poreuses à leur contexte.
Ces quelques 50 bannières peintes pour célébrer les musiques inclassées à l’occasion du salon qui leur est consacré aux Instants Chavirés en sont un exemple, précédés et suivis par d’autres :
Chacun de ces moments offre de nouvelles possibilités formelles et je prends un plaisir immense à chercher et à produire avec les mots qui me sont partagés.
Cette face porte-t-elle les prémices d’un futur pendant typographique ? La réponse reste à composer.
* NDLR: Et outre l’« exception Crickx », cf. La Perruque N.25.
PVC
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Loudy Letters. Traced, Designed & Laid Out.
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