Pétition pour la main gauche

Par Marion Cachon

Version française | Read English version

Issue N.21
Sept. 2020
Author: Marion Cachon
Font: La Gauchère
Printed in the margins of:
INNI Group, Heule [BE]
± 500 copies

Résumé

Marion Cachon tire de «la gaucherie» une force méthodologique et créative pour produire un caractère à la fois troublant et captivant, au delà des connotations péjoratives que la langue attribue au terme.

 

Senestre, acrylique sur toile.

Première inscription.

La gauchère est un projet typographique, pédagogique et littéraire en devenir depuis janvier 2018. Il s’agit, par une revendication poétique et symbolique, de penser la gaucherie comme une force méthodologique et créative, au delà des connotations péjoratives que la langue attribue au terme.

Historiquement, dans la plupart des sociétés occidentales et orientales,la main gauche détient un lourd passé de blâme et d’interdiction,dont l’héritage péjoratif nourrit encore la langue française aujourd’hui.

Dali, La main. Les remords de conscience, 1930, huile et collage sur bois.

Étymologiquement, le mot droite provient du latin Dexter, et le mot gauche, du latin Sinister, désignant ainsi toute chose gauche comme provenant des ténèbres. Ce dualisme spatiale continue de structurer notre pensée, y englobant également certaines valeurs morales. Depuis le Moyen-Âge, le gaucher est une figure transgressive, tandis que le droitier, utilisant sa bonne main, bénéficie des valeurs de la beauté, de la droiture, de l’adresse, en s’emparant en même temps des espaces du Juste et du Légitime. C’est sans doute pour cette raison que l’écriture, cette prise en main du langage, fut longtemps sous haute surveillance.

Ces dualités confèrent aux gauchers un sentiment de frustration et de soumission qui n’est pas sans rappeler le cas des gauchers contrariés, ces gauchers forcés d’écrire de la main droite tout au long de leur scolarité, durant le XIXe et le XXe siècle en France et en Europe.

Réecrire la Pétition pour la main gauche de Benjamin Franklin, sur un format similaire aux liens qui enserraient les poignets des écoliers me semblait une belle façon d’en détourner leur première injonction.

Urbain Grandier, Prétendu pacte avec le diable, 1634. (Voir L’affaire des démons de Loudun. Accusé de sorcellerie, le prêtre fut exécuté sur le bûcher le 18 août 1634).

Pétition de la main gauche, Benjamin Franklin, in Vie de Benjamin Franklin, trad. J. Castéra, 1809.

Dans sa définition, être gauche, ou gauchie, c’est aussi être maladroit, courbé, déformé ou à la renverse. Ce vocabulaire s’incarne curieusement bien dans le dessin calligraphique. Alors que l’écriture peut elle-même être entendue comme la plus vieille institution humaine, l’utilisation de la plume comme médium dans ce projet fait éminemment sens: elle est un outil traditionnel d’apprentissage de l’écriture, mais engendre également un dressage du corps et de l’esprit. Elle dicte certaines positions et exige beaucoup d’entrainement et de rigueur de la part de son tenant, afin d’en obtenir sa maitrise. Cependant, dans la calligraphie, elle représente aussi une expérience intime de libération, d’expression du geste et de l’esprit en parfait accord. Elle possède donc ce double positionnement  qui, de l’un à l’autre, de la contrainte à l’émancipation, me permet de donner corps aux formes graphiques de La Gauchère.

Les gauchers, habitués à vivre dans un monde majoritairement dextre, développent cependant une meilleure perception des symétries/divisions de l’espace. Ce phénomène les rend plus habiles à certaines démarches d’analyse et de déplacement. Il en est de même pour l’écriture: il est reconnu que les gauchers, à l’image de Léonard de Vinci, parviennent aisément à penser l’écriture «en miroir».  

Geste plus naturel d’écrire de droite à gauche, le dessin des lettres en suit le même mouvement, dans un retournement des formes connues. C’est une force cognitive qui contredit toutes les augures énoncées précédemment et qui me sert de base au «rééquilibrage» des faiblesses imposées aux gauchers.

Ce procédé révèle une grande habileté de l’écriture et les formes obtenues parce mouvement offrent à l’œil une puissance à la fois troublante et captivante. C’est cette perception que mon caractère typographique tend à soutenir.

Léonard de Vinci, extract of Codex Atlanticus, entre 1478 et 1518.

Planches provisoire de l'édition.

Jour 0, feutre sur feuille.

École de garçons de Damvillers, Leçon d'écriture n°2, 1899.

En littérature, j’ai pu remarqué que la gaucherie existe de deux façons:
• un grand nombre d’écrivains furent contraints, après un accident, d’apprendre à écrire de la main gauche. J.J Viton, B. Cendrars, H. Michaux, en font partie. Ils écrivirent des récits relayant cet évènement, qui, d’abord perçue comme une infirmité, devint finalement une force créative;
• incarnés dans des personnages fictifs, les gauchers sont des personnages cheminant entre quatre polarités: des maladroits, de travers; des personnalités obscures et solitaires; des criminels ; des décadents questionnant le monde.

In girum imus nocte ecce et consumimur igni, palindrome signifiant Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu, attribué à Virgile, désignant pour certains «les papillons de nuits brûlés par leurs danses autour des lanternes», pour d'autres «les démons qui tournent sans fin dans le feu et la nuit de l'enfer». Repris par Guy Debord en 1978 comme titre de son film, In girum imum nocte et consumimur igni décrit l'aliénation capitaliste, mettant en évidence la condition d'esclave moderne.

Sans titre, acrylique sur toile.

Dans ce travail, la Gauchère est aussi un esprit,incarné par la main elle même qui se découvre aux fur et à mesure des traits qu’elle dessine. J’essaye d’en peindre des scènes et de raconter l’histoire de sa progression.

La finalité de ce travail sera donc un livre, regroupant mes recherches et productions de la main senestre, assemblés en un récit pédagogique et poétique  de la construction du caractère.

Font infos

Please contact Marion Cachon to get more infos about how to use La Gauchère.

About Marion Cachon

Marion Cachon works as a graphic designer between Lyon and Caen since 2018. She graduated from École nationale supérieure des beaux-arts, Lyon. La Gauchère is her diploma project, she is still developing it and she received the grant Brouillon d’un rêve littéraire for it. She is also the co-founder of We Sow since 2016. She is particularly interested in the pedagogical and didactic challenges of graphic design, in particular for social perspectives of transmission and accessibility of knowledge.

Links:
marion.ccn@gmail.comwe-sow.euInstagram

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